Question. Pourquoi un jour a-t-on cessé d’inventer notre avenir ? Peut être parce qu’on s’est fatigué à inventer Allah. L’algèbre. La nomenclature des astres. Fatigués à inscrire le paradis d’Allah sur une terre ingrate. A ciseler dans stuc des stalactites au milieu de jardins de roses, de miroirs d’eau cernés de cyprès. Et maintenant c’est trop tard. Trop de retard accumulé. Maintenant on est largués. Et ce n’est pas d’hier. On l’a laissée derrière nous, notre modernité, un âge d’or, brocards et damas, bassins réfléchissant des dentelles de pierre, vasques où pleuvent des jets d’eau, jardins de délices… Tous ces cache-misère de la nostalgie millénaire.
"Avez-vous des grains de beauté ? Des cheveux blancs que vous teignez ? Pratiquez-vous un sport ? Prenez-vous des coups de soleil ? Faites-vous l'amour la veille ou le matin de nos séances ? En gardez-vous une trace ? Est-ce que je suis jalouse ? Avez-vous eu des relations sexuelles avec une autre femme ? Avez-vous peur de la nuit ? De l'amour ? Comment se prénomment vos enfants ? Êtes-vous une mère douce ? Combien de baisers par jour ? Quels sont vos mots sur moi ? Quel est mon dossier ? Me trouvez-vous jolie ? Intelligente ? Perdue ? Avez-vous fixé ma voix sur une bande magnétique ? Dois-je vous avouer qu'il m'arrive de rêver de vous ?" Dans un style ample et fluide, Nina Bouraoui restitue cette parole propre à la thérapie, cet abandon qui reste tenu, contrôlé, dans une frénésie de vitesse, et révèle la géographie intime, physique et amoureuse d'une "déracinée". Un "roman-confession" d'une grande maîtrise.